Après avoir quitté son emploi chez Kotobukiya (l’actuel Suntory) au printemps 1934, où il avait dirigé la distillerie Yamazaki durant une décennie, il n’a pas fallu longtemps à Masataka Taketsuru pour fonder son entreprise et créer sa propre distillerie. À l’automne de la même année, il acquiert à Hokkaido un assez vaste terrain situé à proximité de l’embouchure du fleuve Yoichi où il construit les bâtiments de sa distillerie. Après deux ans, durant lesquels il produit du jus et du brandy de pommes, ce qui lui permet de se constituer une trésorerie, son premier distillat de whisky s’écoule de l’alambic (unique, car les fonds dont il disposait à l’époque ne lui permettaient pas de se procurer deux pot stills).
Le reste, selon l’expression consacrée, appartient à l’histoire. À l’instar de toutes les grandes distilleries du Japon, Yoichi produit diverses gammes de whiskies, mais c’est le style audacieusement tourbé qui suscite l’affection de nombreux amateurs, tant au Japon qu’à l’étranger. Nikka considère que la chauffe des alambics ‒ directe au charbon, en l’occurrence ‒ joue un rôle déterminant dans la formation des caractéristiques organoleptiques du distillat de Yoichi. Afin de réduire l’empreinte environnementale de sa production, la firme fait installer en 2003 un filtre spécial pour un coût exorbitant de 100 millions de yens. Il eût été moins onéreux de se contenter de remplacer l’ensemble des alambics par de nouveaux modèles à chauffe indirecte, mais ce remplacement eût risqué de modifier le caractère du distillat. On a par conséquent décidé de s’en tenir au procédé traditionnel.
Jusqu’au milieu des années 1980, l’eau-de-vie produite par la distillerie Yoichi était intégralement destinée aux assemblages Nikka. Ce n’est que fin 1984 qu’a lieu la commercialisation de la première expression single malt (un 12 ans), soit six mois après que le rival de Nikka eut lancé son propre single malt. Étant donné son histoire relativement récente en tant que marque, on s’attendrait à ce que Yoichi soit une cible relativement facile pour le collectionneur. Mais ce n’est malheureusement pas le cas.
Du point de vue du collectionneur, on distinguera de façon générale trois domaines d’intérêt. Le premier se compose de l’ancien cœur de gamme qui, outre une expression NAS (sans compte d’âge), rassemble quatre expressions respectivement âgées de 10, 12, 15 et 20 ans. Il demeurait assez facile de mettre la main sur ces flacons, au Japon comme à l’étranger, jusqu’à ce qu’une rupture de stocks ne contraigne Nikka à cesser la commercialisation de l’intégralité de la gamme à l’été 2015. La thésaurisation intense à laquelle on assista au cours des mois qui suivirent eut vite fait de métamorphoser ces bouteilles en autant de licornes. Elles sont devenues tout simplement introuvables. Il nous reste à souhaiter bonne chance à ceux qui voudraient encore s’en procurer !
La série d’éditions annuelles limitées constitue pour le collectionneur le deuxième domaine d’intérêt. De 2004 à 2010, Nikka commercialise chaque année une nouvelle édition limitée de Yoichi. Chaque édition est élaborée par le maître assembleur sur la base d’un vatting (assemblage) de single malts et de types de fûts sélectionnés parmi les millésimes respectifs âgés de 20 ans (c’est-à-dire de 1984 à 1990). Les trois premières éditions ayant été limitées à 500 bouteilles, elles sont aujourd’hui les plus difficiles à dénicher. Les prix remportés à différents concours de whisky aboutissent au lancement d’éditions supplémentaires, puis à des volumes plus importants (3 500 bouteilles) pour les trois dernières éditions, ce qui augmente en théorie les chances du collectionneur de mettre la main sur l’un de ces flacons, mais en fait très marginalement, étant donné la très haute estime dont jouit cette série. Après Yoichi Heavily Peated Limited Edition 2015, Nikka a infléchi sa stratégie en matière d’éditions annuelles limitées au profit d’expressions sans compte d’âge affinées sous différents bois (moscatel, rhum, manzanilla, etc.) La plus récente est Apple Brandy Wood Finish 2020 finie en fût d’eau de vie de pomme.
Le troisième domaine d’intérêt ‒ et le plus stimulant pour le collectionneur ‒ est représenté par les embouteillages single cask. Nikka commercialise son premier embouteillage single cask Yoichi en 1998, mais abandonne progressivement cet aspect de la marque au milieu des années 2010. Entre 2002 et 2015, la Scotch Malt Whisky Society parvient à se procurer vingt fûts auprès du producteur, mais aucun n’a été depuis mis en vente. Les rares exemplaires d’embouteillage single cask disponibles aujourd’hui sont détenus par des particuliers pour les participants au programme My Whisky Zukuri (« Élaborez votre propre whisky »), que propose Nikka le week-end dans ses deux distilleries, durant certaines périodes, depuis désormais plus de dix ans. En raison du fait que seuls peuvent s’y inscrire les amateurs résidant au Japon et compte tenu du succès que rencontre ce programme dominical, les places sont tirées au sort. À la fin du week-end, chaque groupe remplit un fût qui est ensuite mis en chais durant 10 ans. Après embouteillage, chaque participant se voit attribuer quelques bouteilles de « son » fût. À l’heure actuelle, ces dernières sont les uniques expressions single cask susceptibles d’être disponibles. Bonne chasse !